Les clubs de football pro étaient initialement des associations à but non lucratif. Aujourd'hui, les statuts sont différents selon les pays et leur culture. La crise sanitaire génère des interrogations sur le financement. Faisons un petit panorama européen des situations juridiques des principaux pays pour identifier les différences et s'interroger sur les évolutions qu'il s'agit de conduire à terme pour assurer la pérennité.
La situation de la France
A partir des années 80, en France, la forme juridique de la société anonyme s'est progressivement imposée pour répondre aux besoins de financement. Ce changement vise à accueillir les investisseurs et à permettre aussi la cotation du club en bourse. Il y a eu plusieurs étapes dans cette transformation. En 1984, les clubs professionnels sont obligés de créer une société anonyme à objet sportif (SAOS) ou une société d’économie mixte sportive locale. En 1999, ils peuvent devenir des sociétés anonymes. En 2004, la loi change encore : elle oblige les clubs à devenir des sociétés commerciales soumises au code du commerce. En Ligue 1, aujourd'hui la quasi totalité des clubs pro sont des sociétés anonymes sportives professionnelles (SASP). Cette forme juridique laisse aux investisseurs étrangers une grande liberté pour acquérir un club de foot sans autre contrepartie que financière.
La situation de l'Angleterre
Comparativement, les clubs anglais représentent des pionniers dans ce domaine. Depuis 1923, ils ont l'obligation d'être des sociétés à actions. Les grands clubs appartiennent à des propriétaires étrangers. C'est notamment Roman Abramovitch pour Chelsea ou Mansour Bin Zayed Al Nahyan pour ce qui concerne Manchester City. C'est le championnat le plus médiatique mais aussi le plus dépendant aux capitaux étrangers. Plusieurs clubs sont côtés en bourse : à New York c'est le cas de Manchester United. L'économie est mondialisée et celle du football l'est évidemment : les marchés asiatiques sont devenus des enjeux majeurs. En Angleterre, le prix de billet pour aller au stade en Premier League est devenu excessivement coûteux. La sélection sociale est évidente. Malgré son image, le football anglais de haut niveau est moins que dans le passé un sport populaire. Phénomène intéressant à observer : quelques clubs professionnels de 3e et 4e division sont dirigés par leurs supporters. C'est le cas de AFC Wimbledon (3e Division) depuis 2016 qui a démarré en Division 9.
La situation de l'Espagne
En Espagne, dans les années 90, les clubs pro sont confrontés à des déficits considérables. Afin de gérer cette réalité, la loi impose d'adapter le statut de société anonyme (SAD). Toutefois, par mesure de précaution les actionnaires ne peuvent être que ressortissants du pays. Il est interdit de posséder plus de 1% dans deux clubs différents. Toutefois, certains clubs disposent d'une dérogation. C’est notamment le cas de Barcelone et du Real de Madrid. Les "socios" sont les propriétaires du club. Une cotisation annuelle est demandée. Ils participent à l'élection du président et du conseil d’administration. Actuellement, il y a 180 000 socios au FC Barcelone. L'Athletic Bilbao et Osasuna disposent aussi de cette structure juridique. Il est évident que de telles mesures évitent la dépendance aux investisseurs étrangers comme nous pouvons le voir en France et en Angleterre.
La situation de l'Allemagne
En Allemagne, le professionnalisme débute seulement en 1962. En 1998, les clubs s'ouvre aux capitaux privés. L'enjeu pour eux est de rester compétitif sur le plan européen. Cette ouverture s'accompagne d'une restriction importante : la part des capitaux privés ne peut dépasser 49%. L'association du club reste donc majoritaire. Au Bayern, les 300 000 membres sont donc propriétaires et peuvent préserver l'identité du club. L'adhésion annuelle pour les membres du Bayern se situe entre 20 et 60 euros. Autre intérêt pour eux : ils disposent d'une politique d'abonnement beaucoup plus avantageuse que celles des autres pays. Cela explique les affluences dans les stades. Les matchs de la Bundesliga se jouent à guichets fermés. Toutefois, il y a quelques exceptions à la règle du 50+1. Un investisseur avec l'accord des supporters peut prendre le contrôle du club s’il prouve qu’il a fortement contribué financièrement à son développement pendant au moins une période de 20 ans. C’est le cas du Bayer Leverkusen qui appartient à la société pharmaceutique Bayer et du VFL Wolfsburg dont le propriétaire est Volkswagen. En 2015, Dietmar Hopp (SAP) est devenu majoritaire de Hoffenheim. Dans ce club, il investissait depuis plus de 25 ans.
Cette forme juridique apparaît idéale mais il y a toujours une manière de contourner la règle. C'est le cas du RB Leipzig. La société Red Bull possède juridiquement 49% du capital mais une astuce lui permet d'avoir la main mise sur le club. Dietrich Mateschitz, son patron, a racheté le club amateur du SSV Markranstadt qui jouait en 5eme division. Les 17 membres de l'association sont tous des employés de la société et ils refusent toute nouvelle adhésion. Face à la pression de la Ligue, le club a été obligé d'ouvrir l'adhésion au public mais les nouveaux membres participent aux assemblées générales sans droit de vote. Cette supercherie qui ne respecte pas l'esprit de la loi explique, aujourd'hui, la forte détestation du public allemand pour le RB Leipzig. La réussite sportive ne suffit pas à rendre populaire un club. Cet exemple montre aussi que ce pays doit rester vigilant s'il veut garder la maîtrise de son avenir.
Malgré ce cas isolé, force est de constater que le modèle allemand représente un exemple à suivre. Les stades sont pleins et l'identification au club est très forte. Cette situation a de quoi faire rêver les supporters français qui ne peuvent rien faire lorsqu'un riche entrepreneur s'approprie leur club et qu'il ne respecte pas les valeurs de celui-ci. Le capital d'un club, c'est avant tout son capital humain et immatériel. Ce n'est pas le stade ni les infrastructures. Et c'est de moins en moins les joueurs qui ne sont que de passage.
Un club de foot pro fait partie du patrimoine de la région et il appartient de fait à ses supporters. Les espagnols et les allemands ont eu la sagesse de protéger leurs clubs en empêchant la réalisation d'OPA sauvages. Nous voyons bien que ce n'est malheureusement pas le cas dans notre pays. L'avenir est inquiétant car d'autres clubs historiques peuvent rapidement basculés entre les mains de repreneurs étrangers et de fonds d'investissement.
Dans notre pays, les supporters sont dépossédés de leur club et ils n'ont d'autres possibilités que de manifester pacifiquement leur désillusion ou de prendre de la distance avec celui-ci. En France, ce phénomène est clairement observable avec la chute impressionnante du nombre d'abonnés.
Est-il trop tard pour lutter contre un tel risque ?... La crise sanitaire peut-elle avoir la vertu de faire évoluer la règlementation en cours ?... Que vaudront à terme les droits TV lorsque les stades seront à moitié vide ?... Les élus vont-ils enfin s'enquérir de cette question citoyenne ?... L'actionnariat populaire est-il en mesure de proposer une alternative crédible face à la logique capitalistique ?...
Une seule certitude : rien ne va se faire sans l'action des supporters et la mobilisation populaire qu'ils seront en mesure de mettre en place. Dans le football pro, ils sont au centre du projet sportif de leur club. Sans eux, le football perd son âme et il n'a plus la même valeur sportive et économique.
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