Gérard Houllier vient de disparaître à l'âge de 73 ans. Le mois dernier, j’avais eu l’occasion de le questionner sur le passé du FC Nantes et sur le jeu à la nantaise. Lors de cette même rencontre, nous avions eu l’occasion de parler management et projet sportif à travers des exemples concrets : RB Leipzig et Académie de l’Olympique Lyonnais. Je voulais attendre sa sortie de l’hôpital avant de publier cet article. C’est avec beaucoup d’émotion que je vous livre, aujourd’hui, le contenu de nos échanges. C’est pour moi une manière de lui rendre hommage. Gérard Houllier était un ami de longue date et un grand Monsieur du Football français.
Il disposait d’une expérience multiple dans le football. Entraîneur de plusieurs clubs français (Lens, PSG, Lyon) et anglais (Liverpool, Aston Villa), il a été aussi à deux reprises Directeur Technique National du Football Français. De 2012 à 2016, il a assumé le poste de Directeur Mondial de la branche football pour Redbull (RB Leipzig, RB Salzbourg, RB New York, RB Brasil). Depuis quelques années, il avait l'interdiction d'exercer son métier pour raison médicale. En fait, il "trichait" un peu, conscient du risque. Gérard continuait à intervenir comme consultant auprès de l’Olympique Lyonnais et du Groupe RedBull. Vivre hors du football, pour lui c'était juste impossible.
En France, l’arrivée sur le devant de la scène du RB Leipzig a été une surprise pour les passionnés de football. Tu as été l'un des artisans de cette montée en puissance. Comment expliques-tu cette réussite ?...
En fait, le club a construit sa réussite, avec patience, sur plusieurs années…
Pour ma part, je suis arrivé en 2012, le club était alors en 4ème division. Il a été défini à l’époque une vision de ce que nous voulions faire ensemble, un projet avec un plan et des étapes logiques. Une démarche classique de management. Le projet de jeu a été alors défini. Et puis après, il fallait trouver les personnes qui correspondent au projet. C’était cela le plus difficile…
L'ensemble des entraîneurs recrutés adhèrent à la même philosophie du jeu : un football basé sur le pressing et le contre pressing. Un jeu qui privilégie la vitesse mais aussi la puissance. Toutes les équipes du club jouent de la même manière que l’équipe pro. Cela apporte une cohérence globale. Dans le même temps, il y a aussi une grande stabilité au niveau des coachs. Le recrutement est principalement orienté sur l’acquisition de jeunes joueurs à fort potentiel.
En fait, ce projet a mis combien de temps à prendre forme ?...
L’histoire est intéressante. Le patron de Red Bull, Dietrich Mateschitz, avait proposé aux deux clubs de la ville de fusionner. Il était prêt financièrement à les aider. Les dirigeants ont refusé sa proposition et il a décidé, en 2009, de créer son propre club professionnel en démarrant en 5e division. L’évolution a été progressive. Les moyens n’ont pas été donné tout de suite et ils l’ont toujours été en relation avec le projet.
Le club de Leipzig bénéficie d’installations de grande qualité. D’ailleurs, si un terme caractérise bien le management du président : c’est le mot « qualité ». Dietrich Mateschitz est toujours très exigeant sur la qualité de ce qui est fait… et cela se répercute, à tous les niveaux, dans le fonctionnement du club.
Sur le plan humain, l’homme pivot de la construction c’est Ralph Rangnick. Il est arrivé comme entraîneur en 2015. Il avait été auparavant coach à Schalke 04, Hoffenheim mais aussi Stuttgart. Je suis à l’origine de sa venue car j'avais eu l'occasion de le connaître et d'apprécier ses méthodes. Avec lui, nous avons pu construire quelque chose de solide. Aujourd’hui, il est le directeur sportif du club. Ce poste est déterminant dans la réussite. C’est vraiment le directeur sportif qui fixe la ligne directrice et qui fait que tout le monde, au quotidien, avance dans la même direction.
Parlons aussi de l’Olympique Lyonnais puisque tu es depuis plusieurs années conseiller du président Aulas. Comment peux-tu expliquer que ce club arrive à sortir chaque année de nouveaux joueurs, et en plus, à tous les postes ?...
En premier lieu, il est essentiel qu'au sein du club la formation s’inscrive au cœur du projet sportif. A l’expérience, c’est un ensemble 'd’ingrédients qui vont, au fil du temps, favoriser la réussite du centre de formation.
J’identifie 5 critères de réussite :
- Mettre en place un recrutement efficace : la qualité du joueur s’avère déterminante dans la réussite. Le club doit se structurer pour attirer les meilleurs. Il faut avoir des références… mais aussi proposer aux familles un projet sportif et scolaire. Evidemment, il faut pour cela s’appuyer sur un réseau de scouts capables d’identifier les talents.
- Disposer d’installations dédiées à la formation : il ne faut pas partager les terrains avec l’équipe première ou avec la réserve. Il faut posséder ses propres installations. Cela permet de travailler d’une manière sereine et cohérente et les installations permettent aux jeunes de mieux s’identifier au projet.
- Avoir des coachs spécialisés : l’éducateur dans un centre de formation n’a pas du tout le même profil que l’entraîneur pro. Ils exercent des métiers différents. Ce sont des pédagogues qui privilégie l’apprentissage à la performance immédiate.
- Elaborer des programmes spécifiques : ce qui est proposé entre 15 et 17 ans… n’a rien à voir avec ce que l’on fait ensuite entre 17 à 19 ans. Auparavant, on avait trop tendance à mélanger les âges et à raisonner par niveau. Ce n’est pas le bon choix. Le jeune doit avoir le temps de mûrir. A certains moments, l’accent est mis sur la musculation ou la vitesse, à d’autres sur les aspects tactiques. L’apprentissage doit prendre appui sur ce qui a été travaillé, en préformation, entre 12 et 15 ans. En France, Kylian Mbappe représente le parfait exemple de l’efficacité de ce cursus : cela explique, en partie, sa maturité. Dans notre pays, c’est bien la préformation qui donne un temps d’avance car elle permet très jeunes aux meilleurs, de jouer, ensemble.
- Planifier une entrée réussie en pro : cela fait partie intégrante du cursus de formation. Le jeune doit avoir l’opportunité de s’exprimer au plus haut niveau. Et cette possibilité ne s'improvise pas et doit se faire dans les meilleures conditions.
Ce dernier critère ne semble pas être la politique dans tous les clubs. Je pense notamment au PSG puisque ce club n’a pas d’équipe en N2
Le PSG dispose d’un vivier de très bons jeunes mais la politique du club ne consiste pas à s’appuyer dessus. C’est un autre choix. Concernant l’Olympique Lyonnais, sans trop rentrer dans les détails la progressivité du jeune joueur s’effectue par paliers. Dans un premier temps, il devient pro 2, puis après il s’entraîne avec l’équipe première puis, enfin, on le fait jouer en pro. Le bon exemple de cette progression c’est Maxence Caqueret. Il a été mis dans d’excellentes conditions pour prouver ses qualités au plus haut niveau
L’éclosion d’un jeune joueur impose une gestion efficace de son temps de jeu. Pour illustrer la démarche, je peux prendre l’exemple de Steven Gerrard que j’ai eu la chance de faire débuter à Liverpool. La première année il n’a joué que 12 matchs. La seconde année nous étions à 25 rencontres seulement. La troisième saison, son total s’élevait à peine à une cinquantaine de matchs.
Un autre exemple c’est Alexandre Lacazette. Il a rarement été retenu en équipe de France dans les différentes catégories d’âge et, pourtant, dès qu’il a eu sa chance en pro... il a été très performant. La progressivité dans l’apprentissage est déterminante mais elle n’apporte aucune garantie.
En conclusion, la réussite de la formation dépend de sa place au sein d'un club. Elle repose aussi sur le fait que les 5 critères évoqués précédemment se situent bien au niveau requis. C’est seulement à cette condition qu’un club peut espérer sortir des joueurs talentueux…mais, attention, il n’y a rien d’automatique en la matière.
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