Il y a 10 ans, Catherine Tanguy et moi-même étions très inquiets de la situation de l'emploi des jeunes (plus de 25 % de chômeurs chez les moins de 30 ans) et de leurs difficultés à trouver leur place dans le monde du travail.
Cette préoccupation s'est traduite par la publication chez Deboeck de l'ouvrage "Génération Y mode d'emploi" publié en 2008 visant à :
- Mettre en relief les particularités et aspirations de cette nouvelle génération appelée Y (née entre 1980 et 1996)
- Analyser d'une manière rationnelle les causes du fossé générationnel et faire comprendre que cette problématique de l'intégration des jeunes obligeait les managers à faire plusieurs deuils dans la relation au temps, à l'organisation et à l'autorité.
- Proposer des méthodes innovantes pour répondre à cette nouvelle donne culturelle de manière à développer l'engagement des nouvelles recrues.
A ce propos, signalons que ce livre fut à l'époque le premier ouvrage de management sur cette question publié en France, mais aussi en Belgique, et que depuis de nombreux autres travaux sont venus validés l'enjeu et l'importance de cette problématique de l'intégration des nouvelles générations.
Il faut reconnaître que ce sujet était particulièrment clivant... et que certains acteurs doutaient même de sa réalité.
Les apports d'Edgar Morin, Hervé Seryeix, Michel Serres ou bien encore Joel de Rosnay apportèrent de la légitimité à cette approche mais l'apport le plus décisif fut, sans nul doute, les projets conduits au sein même des entreprises et administrations.
En effet, une telle transformation ne peut se satisfaire de quelques ajustements de posture : elle requiert une remise en cause dans sa globalité du système de management. De fait, il n'est plus possible de concevoir la gestion d'une carrière, les rôles et contributions dans un collectif de travail ou l'évaluation des performances comme nous pouvions le faire il y a encore une dizaine d'années. Les jeunes Y ont, par exemple, "ringardisé" l'entretien annuel d'appréciation. Les recettes du management reposant sur l'obéissance ne fonctionnent plus comme par le passé. Fini le management impersonnel : c'est la capacité à prendre en compte les attentes et les émotions qui permet de créer la relation de confiance et l'engagement professionnel. Un manager doit être capable d'appréhender la personnalité de son collaborateur et il ne peut plus se cantonner à organiser et juger ses contributions. Celui-ci n'est plus un subordonné... il devient un partenaire qui veut être traité d'égal à égal.
Certes, une telle mutation culturelle est un processus long mais 3 enjeux majeurs accèlèrent, aujourd'hui, la place prise par le management intergénérationnel :
- l'enjeu démographique avec l'important renouvellement des effectifs : rappelons qu'en France celui-ci est d'un tiers pour la période 2010-2030 et l'on mesure ce que cela induit dans le domaine de la formation et du transfert des compétences. Il n' y a pas d'équivalence dans l'histoire depuis la seconde guerre mondiale...
- l'enjeu culturel avec la prise en compte du fossé générationnel s'expliquant par une profonde transformation du mode d'éducation, une mutation du système de valeurs, la mise en concurrence de l'entreprise et du salariat comme modèle dominant.
- l'enjeu organisationnel dans un environnement professionnel profondément transformé par la révolution numérique, la vitesse du changement et l'obligation pour être performant de développer le travail collaboratif.
Comme vu précédemment, l'ambition ne consiste plus à faire seulement "cohabiter" ensemble les baby boomers (1946-1964), la Génération X (1965-1979), la Génération Y (1980-1995)... et maintenant la Génération Z (1996-2008) mais d'être à la hauteur des enjeux en sachant faire "collaborer" des personnes ayant des profils différents, des attentes et valeurs parfois contradictoires :
- Les Baby boomers avec l'allongement du temps de travail doivent être rassurés sur leur aptitude à s'adapter à un environnement mouvant et instable, trouver du sens à leur positionnement dans un monde professionnel qui n'accorde plus d'importance à l'ancienneté. Une situation anxiogène délicate à vivre.
- La Génération X s'inscrit elle dans une autre logique : celle de prouver et de se prouver sa valeur. Elle a besoin de challenge et prétend avec le renouvellement générationnel à une reconnaissance statutaire. Elle est méfiante vis à vis des promesses et attend clairement des actes pour s'engager pleinement.
- La Génération Y reste fidèle à l'idée de ne pas mettre la carrière professionnelle au coeur de son projet de vie. La capacité à concilier vie professionnelle et personnelle est fondamentale. Elle revendique une qualité de vie au travail, de la convivialité, une relation de confiance et une diversité et autonomie dans les expériences à vivre.
- La Génération Z arrive elle dans le monde du travail avec des convictions fortes sur la nécessité de développer son employabilité à travers la mobilité professionnelle, la culture du partage et le goût de l'entrepreneuriat. Le travail est un moyen de s'épanouir... et l'entreprise comme le salariat sont des options parmi d'autres. L'enjeu est moins de trouver un emploi que de pouvoir exprimer et développer ses talents.
L'ouvrage que nous venons de publier "Générations Y & Z : le grand défi intergénérationnel" chez Deboeck apporte des éclairages précis sur le positionnement actuel de la Génération Y et sur les spécificités de cette nouvelle génération Z à travers sa relation à la culture, la consommation, la politique. Il propose aussi des clés d'analyse sur sa vision du travail, de l'entreprise et de la collaboration. Autant d'éclairages précieux pour mieux comprendre comment l'appréhender et l'intégrer dans le monde du travail.
Par ailleurs, ce livre met l'accent sur ce qui constitue la richesse d'un collectif pouvant s'appuyer sur 4 générations - situation inédite - mais aussi sur sa complexité. Faire des différences, une complémentarité... est un enjeu sur lequel les managers vont devoir rapidement se mobiliser au risque sinon de ne pouvoir faire face aux exigences actuelles de la compétitivité. L'apport des jeunes générations est une carte maîtresse dans un monde où l'innovation et le changement prime sur la productvité et le respect des règles. Le management intergénérationnel s'impose comme un levier essentielle d'une performance qui se doit d'être collective et nous avons beaucoup à apprendre dans ce domaine.